IAM: « Notre musique est sous-représentée »

Article publié le 22 février 2014

Kephren, Khéops, Akhenaton, Imhotep et Shurik’n. Ils sont là, tous les cinq, assis derrière une table et en train de signer au Posca les vinyles du Docteur Larry. Avant nous c’était Radio Campus, après ce sera Voo TV. “La prochaine fois on décomptera les dédicaces sur le temps d’interview. Vous avez 15 minutes.” A deux heures du concert, Khéops est un peu dans sa bulle, avec son iPad dans les mains. Il joue à Candy Crush. “T’es à quel niveau?” – “Héhé, je suis au ciel.”  OK, c’est anecdotique. Mais vu que c’est à peu près les seuls mots qu’il nous décrochera, on les a gardés.

 

Salut les gars, ça fait plaisir de vous voir à Dijon!

Merci.

 

La dernière fois c’était il y a longtemps.

Akhenaton. Je ne me rappelle plus la dernière fois qu’on a joué à Dijon.

Shurik’n. 15 ans.

Akhenaton. On n’a pas joué sur Revoir un printemps ou Saison 5 à Dijon?

 

Non, il y a la légende qui disait que vous ne vouliez plus revenir depuis la dernière fois. Ça s’était mal passé, des bandes rivales étaient venues pour se fritter, il y a eu un jet de bouteille sur scène et le concert a été écourté.

Akhenaton. Est-ce que c’est ce concert où les services de sécurité c’étaient les Hells Angels? On peut pas vous raconter l’histoire en détails, mais non non, ça n’a rien contre Dijon. C’est une histoire interne. Vraiment, on peut pas vous expliquer, ça serait nuisible. Mais non, ça n’a rien à voir. Il y a des tas de villes où on n’a pas joué depuis des années tout simplement parce qu’elles ne sont pas dotées de salles qui ont des capacités qui nous conviennent. C’est soit des petites salles, soit des très grandes, et il y a beaucoup de villes comme ça en France.

Shurik’n. Il y a peu de villes avec des salles plus adaptées au hip-hop.

 

D’ailleurs ça fait plaisir de voir que maintenant, Dijon est rentrée dans ce circuit.

Akhenaton. Les deux précédentes tournées, Revoir un printemps et Saison 5, on a peu tourné dans le sens « bus et puis on va de salle en salle ». On affichait 25 dates, mais en fait il y avait énormément de festivals. On a joué plusieurs fois pas loin d’ici mais c’était plus sur des festivals.

 

Il parait que c’est votre dernier album.

Akhenaton. Ah.

Shurik’n. Ouais, « il parait ».

Akhenaton. C’est surtout le dernier de ce contrat-là mais enfin…

Shurik’n. C’est pas la fin d’une passion, c’est pas la fin d’une carrière, on pourra faire un jour des projets annexes qui ne seront pas estampillés IAM, ou qui seront estampillés IAM, ça n’empêche pas. Sur le dernier album, la dernière chanson s’appelle Dernier coup d’éclat, ça a soulevé aussi beaucoup de questions. Je me permets de rappeler encore une fois que le dernier morceau sur l’album IAM s’appelle Renaissance donc… (solennel) “Tirez-en donc les conclusions, Messieurs”.

 

C’est le début d’une deuxième vie?

Akhenaton. Une deuxième vie, oui, mais c’est pas la fin de la carrière.

Shurik’n. Faut pas oublier que maintenant, l’industrie du disque s’écroule. Mais pour nous c’est pas la fin d’une passion. C’est la fin d’une période contractuelle, on va dire, mais il y a un changement de moyens. Même si on ne va pas se plaindre parce que les deux derniers albums ont bien fonctionné…

 

Oui, d’ailleurs, pourquoi deux albums en un an?

Akhenaton. Parce qu’en fait c’est le même. Chose qui était déjà arrivée sur d’autres albums.

Shurik’n. C’est une chance qui est pour nous exceptionnelle.

Akhenaton. Oui il y a des choses qui se sont passées qui étaient inattendues, comme par exemple le deuxième volet de l’album, c’était inattendu. Parce qu’on est dans un système économique où on n’a pas envie de signer un album en indépendants…

 

Pourquoi?

Akhenaton. C’est pas comme si on avait 17-18 piges. Non mais on a donné, on a donné. On a fait des années en indépendants, parce que je rappelle que notre premier album, Concept, était en indépendants. On a fait de l’indépendant à l’époque où ça existait très peu. En France, ça n’existait que dans le rock. Et sur le modèle du rock, on a fait notre premier album, Concept.

Imhotep. Il y avait un budget Heineken qui était assez important.

Akhenaton. Pascal (Imhotep) nous présentait la facture, à chaque fois il pleurait sur son budget de bière.

 

Vous avez un gros budget bière?

Akhenaton. A l’époque, oui. Il faisait chaud à Marseille. C’est surtout que cette expérience en indépendants, elle est pas valable aujourd’hui, on sait pas ce que ça donnerait. Même vis-à-vis des gens, ils ne seraient pas capables d’accepter un album en indépendants.

 

Pour quelle raison?

Akhenaton. Alors je t’explique…

Shurik’n. Non attends, si tu permets. Si tu veux un exemple, au jour d’aujourd’hui, pour monter faire une émission à Canal + par exemple, en promo… Il y a cinq personnes, ça fait cinq chambres d’hôtel. Ça demande un budget qu’en indé…

Akhenaton. Additionné avec les clips.

Shurik’n. Additionné avec les clips et tout, c’est un budget qu’on n’a pas.

Akhenaton. Et aujourd’hui, tu sors ton album, si tu vas pas à Canal +, ben c’est comme s’il était jamais sorti.

Shurik’n. Au jour d’aujourd’hui le net ne remplace pas encore la télévision, les médias traditionnels.

Akhenaton. Il nous a beaucoup aidés aussi.

Shurik’n. D’un côté oui, mais d’un autre côté on est encore entre deux chaises. Parce qu’on ne peut pas se passer des médias traditionnels.

Akhenaton. Et la preuve c’est qu’on a sorti des albums en indé. Tu sors un album, si tu veux de la visibilité…

Imhotep. Pour notre visibilité… les gens ne connaissent pas cet album-là. La plupart du temps ils sont passés à côté. Ils ne sont pas au courant que AKH a sorti deux albums, que toi (Shurik’n), tu as sorti le tien. Il y a beaucoup de gens dans le public d’IAM qui ne connaissent pas… Même si c’est un morceau avec des gens d’IAM qui rappent dessus, si c’est un morceau qui est sorti sur un album solo ils ne connaissent pas.

Shurik’n. Nous on s’adapte. Des partenariats divers et variés aux propres albums individuels, c’est vrai que… on aime écrire.

 

Ça se voit.

Akhenaton. Pascal (Imhotep) faisait référence aux albums solo, c’est quand même un moyen de jauger, de juger de la portée, en indé, mais sortir un disque avec des moyens comme ça… Même vis-à-vis des fans. Ils veulent du rêve, ils veulent du grandiose. Ils viennent nous demander “mais pourquoi vous faites pas un clip comme dans L’Ecole du micro d’argent? » Mais aujourd’hui tu peux pas, y a plus personne qui veut payer. Il faut leur expliquer qu’un clip comme ça, c’est 200 000 euros.

 

 

Imhotep: "Non, Shurik'n ne fait pas caca. D'ailleurs, il n'y en a aucun de nous cinq qui fait caca." © Pierre-Olivier Bobo

« Oh non, tu fais une photo dans ta vie avec IAM et Shurik’n fait caca… » Imhotep: « Non, Shurik’n ne fait pas caca. D’ailleurs, si tu regardes, il n’y en a aucun de nous cinq qui fait caca. » © Pierre-Olivier Bobo

Vous cherchez une maison de disques?

Akhenaton. Chercher, non. C’est bien simple, des maisons de disques, t’en as trois. Alors tu cherches pas.

 

En gros, le marché a évolué?

Imhotep. C’est pas le marché qui a changé. A mon avis, c’est l’intérêt des médias qui n’est plus le même. Avant tu avais des émissions comme RapLine qui diffusaient nos clips. Tout ça c’est fini. Le nombre de groupes est pourtant florissant, mais M6 ne diffuse plus les clips, les radios c’est néant. On a beau être présents sur internet – Arts martiens, par exemple, a très bien fonctionné grâce à internet -, pour le reste, il n’y a plus d’émissions assez pointues, de chaines de clips…

Akhenaton. On est trop rap pour faire des émissions de variété, trop adultes pour les émissions à destination des jeunes…

Imhotep. Le problème c’est la reconnaissance. Surtout au niveau des médias nationaux. Quand tu vois qu’une radio comme le Mouv’ ne passe que 2% de rap… et encore, c’est parce qu’il y a AKH qui passe du son. Notre musique est sous-représentée. Mais il y a des raisons sociologiques à ça. C’est lié à notre histoire. Le rap est une musique connotée. On a beau être IAM, malgré notre parcours on est toujours considérés comme faisant de la musique pour les Noirs et les Arabes.

Akhenaton. Et les jeunes aussi.

Imhotep. Mais ça c’est un objet d’étude. On a l’impression qu’il n’y a de la place que pour la variété ou le rock anglais. C’est l’auditoire qui pose problème. Ils pensent que les jeunes, les Noirs et les Arabes sont des gens qui ne consomment pas…

 

C’est une grosse erreur…

Shurik’n. C’est pas une grosse erreur, c’est juste une erreur. C’est le cheap qui tue tout.

Imhotep. C’est une stratégie. Ça ne se passerait pas du tout comme ça dans un pays anglo-saxon. Quand tu vois la première page de Minute, qui compare la ministre de la Justice, là…

Khéops (qui lève les yeux de son iPad!). Taubira.

Imhotep. Oui, qui compare Taubira à un singe: dans un pays anglo-saxon, Minute est fermé le lendemain.

Akhenaton. Ici on se cache derrière la liberté d’expression.

Imhotep. Et le problème, c’est que les jeunes, les Noirs et les Arabes, tu en vois partout mais ils ne sont nulle part à la fois. Ils ne représentent pas une force.

Akhenaton. S’ils représentaient une force, ils seraient beaucoup plus dangereux. C’est un peu le paradoxe: sur scène en France, on est dans le top 5 des groupes qui ramènent le plus de monde. Les gens nous disent « mais comment vous faites? » En attendant, on est toujours considérés comme marginaux.

Imhotep. Et moi en tant que contribuable, je demande, ou plutôt, je veux qu’on m’explique, pourquoi les radios de service public ne passent pas ma musique. Et quand je dis “ma musique”, on s’entend.

Akhenaton. Mais ça on ne peut pas le savoir. Il faudrait qu’on fasse de la politique pour ça. Et nous, c’est pas notre truc la politique.

Kephren (qui n’en a pas placé une depuis le début, mais qui suit avec intérêt la conversation). Parce qu’il ne faut pas croire: tout ça c’est pas innocent. Ils savent très bien ces choses-là, pour le pouvoir d’achat et tout. Je veux dire, il y a suffisamment d’outils statistiques pour le savoir. Si la culture rap est marginalisée, c’est qu’il y a un intérêt derrière.

Propos recueillis par Bertrand Carlier et Stéphane Leblanc

 

Jondi tient à remercier tout particulièrement Benjamin d’Euromuses, qui a rendu possible cet entretien, et qui selon ses propres dires n’aurait “fait que relayer” notre demande. Vas-y, tu sais très bien que c’est grâce à toi. Merci!

Publié par Jondi

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5 commentaires

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  1. Kup

    Petite (ou grosse) coquille sur la réponse à la question du budget bière : « Même vis avis des gens », plutôt vis-à-vis… C’est pas parce qu’on parle de rap qu’on peut se permettre de telles énormités (quoi qu’ils utilisent bien l’expression « au jour d’aujourd’hui » !)

  2. jondi Post author

    C’est marrant tu n’es pas le premier à trouver qu’ils ont l’air de se plaindre, mais sur le coup on l’a pas du tout senti comme ça (dur de retranscrire les intonations de la voix). Ils n’ont pas l’air inquiets pour leur propre sort. Ils parlent de 2% de rap à la radio, mais il mettent dans la balance l’importance du public (connais pas un groupe de gavotte, et encore moins un groupe de gavotte dans le top 5 des gens qui ramènent le plus de monde en concert). D’où l’importance des deux dernières répliques, faut vraiment lire l’argumentaire jusqu’au bout. D’ailleurs, l’itv a plus duré 20 minutes que les 15 prévues, parce qu’ils ne voulaient pas nous laisser partir sans le fin mot de l’histoire. Kephren prend la parole alors qu’il n’a rien dit depuis le début, et c’est finalement lui qui résume explicitement ce qu’on dit les autres. En gros, ils sous-entendent qu’on ne donne pas sa place au rap parce qu’il risquerait de créer l’unité dans une population que les pouvoirs en place n’ont pas intéret à laisser s’unir. C’est un point de vue, on est d’accord ou pas. Mais ça n’a rien de décousu, bien au contraire selon moi, et c’est parfaitement cohérent avec le discours qu’ils ont toujours tenu. Sauf qu’au lieu de le dire dans une chanson, ben cette fois-ci ils l’ont dit avec leurs mots sur le vif, rien que pour nous/vous :-)

  3. Olivier

    Mon commentaire manquait un peu de nuance… J’étais assez surpris du propos décousu, de leur vision des indépendants (quand on est Iam et qu’on arrive en fin de contrat…) et d’une certaine forme de victimisation : quand on voit leur succès et leur médiatisation, c’est un peu fort, moi même, qui suis fan de Gavotte, ça ne représente que 0.0012% de la part d’antenne des radios nationales, et je ne me plains pas ! Pour l’avoir entendu il y a quelques années, Akhenaton avait un discours très posé et réfléchi, c’est surprenant.

  4. jondi Post author

    Ah bon? Nous on a trouvé qu’au contraire c’était cool de pouvoir aller au bout du discours :-D

  5. olivier

    Hé ben! Ils n ont vraiment raconté que de la m**** dans leur interview ou c est des morceaux choisis ? Ca ne devait pas être facile pour vous.

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